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Tressage de la sagesse : Un projet pionnier de 24 M$, visant à transformer l’évaluation de la santé du cerveau, est mené de concert par une professeure de la Laurentienne.

Ce projet, ancré dans la collaboration, le mentorat et la communauté, verra mettre au point des outils de santé cérébrale respectueux de la culture des peuples autochtones.

(12 mai 2025) - Professeure adjointe à l’École des relations autochtones de la Laurentienne, Sharlene Webkamigad (Anishinaabe-Kwe, territoire non cédé de Wiikwemkoong) est co-chercheuse d’un projet de recherche innovateur piloté par la communauté et s’attachant à améliorer l’évaluation de la santé cérébrale chez les peuples autochtones au Canada et ailleurs dans le monde. 

Ce projet, d’une durée de six ans, qui bénéficie de 24 M$ du Fonds Nouvelles frontières en recherche, volet Transformation, mettra au point des outils d’évaluation de la démence. Dans leur ensemble, et parce qu’ils sont ancrés dans la culture, sûrs et sensibles aux traumatismes, ces outils tiendront compte des valeurs, des langues et des systèmes de connaissances des autochtones. Mme Webkamigad est co-chercheuse des principaux axes du projet, notamment le dialogue avec les peuples autochtones comptant en leur sein des personnes atteintes de démence ou qui sont aux prises avec les réalités de la maladie, et les communautés de soignants, et contribue à la préparation et à la formation en matière de soins de santé. 

Au nombre des partenaires clés du projet dans le souci de s’assurer qu’il est ancré dans la culture et la communauté, on compte des co-chercheurs autochtones issus d’organisations à gestion communautaire comme Maamwesying North Shore Community Health Services, Dilico Anishinabek Family Care, Manotsaywin Nanotoojig Inc, Métis Nation of Alberta, Six Nations of the Grand River et le Two-Spirit Program du Community-Based Research Centre. Les travaux du projet bénéficieront également du soutien de chercheurs relevant de divers établissements (Université Lakehead, Université Queen’s, Université de Calgary, Université de la Saskatchewan et Université Western), ainsi que de l’Institut de recherche KITE qui fait partie du Réseau universitaire de santé. 

« Ce projet réunit tant de talents, ce qui en fait un collectif, une communauté, un cadre de mentorat, un travail de cœur, a dit Mme Webkamigad. Mon rôle consiste à écouter, à édifier et à créer un espace pour que les membres de la communauté en viennent à orienter les travaux et à façonner les soins de santé afin de mieux les servir. » Mme Webkamigad ajoute que la perspective du collectif sur la santé holistique du cerveau pourra englober l’examen des facteurs typiques qui entrent nécessairement en ligne de compte dans le diagnostic de la démence comme la cognition, la dépression et d’autres éléments potentiels comme la qualité de vie.

Pour Mme Webkamigad, qui se dit guidée par ses racines ojibway et odawa, la collaboration qu’exige ce projet est bien incarnée par un panier en frêne noir, métaphore d’efforts concertés, chaque bande ayant été entrelacée pour former un tout cohérent encore plus solide. « Chaque personne apporte ses talents à ce projet. Personne n’occupe de poste dominant par rapport à l’autre. Voilà ce que signifie pour moi une véritable collaboration interdisciplinaire. »

Mme Webkamigad, qui est titulaire d’une maîtrise en santé interdisciplinaire et d’un doctorat en santé rurale et du nord, est une diplômée de l’École des sciences infirmières (BScN). En tant qu’infirmière autorisée, elle compte plus de quinze ans d’expérience en soins de santé autochtone. Elle reconnaît la Semaine nationale des soins infirmiers, une initiative annuelle qui s’articule autour de la Journée internationale des infirmières (aujourd’hui le 12 mai), mais elle célèbre fièrement la Journée des infirmières autochtones (le 10 avril) rendant hommage à Charlotte Edith Anderson Monture, de la nation des Kanien’kehà:ka, la première infirmière autochtone autorisée au Canada (1914), malgré les entraves imposées aux femmes autochtones à l’époque, notamment par la Loi sur les Indiens. Sont donc mises à l’honneur les contributions aux soins de santé de tous les infirmiers, éducateurs et étudiants, issus des Premières Nations, des Inuits et des Métis du Canada, ainsi que leurs réalisations dans le domaine. 

Son parcours de chercheuse a commencé au cours de ses études en sciences infirmières (BScN) où elle était assistante de recherche dans le cadre d’un projet de lutte contre le diabète dans sa communauté natale de Wiikwemkoong. « J’ai pu constater de première main à quel point les voix autochtones sont souvent exclues des modèles de santé dominants. Même si les professionnels de la santé peuvent agir en éducateurs auprès des gens en abordant des sujets liés à la santé, l’usage qu’ils font des informations reçues, que nous leur communiquons, dépend des réalités auxquelles ils sont confrontés. En définitive, il s’agit des déterminants sociaux de la santé. Les besoins touchant la santé chez les peuples autochtones sont uniques, et les résultats en matière de santé induits par le colonialisme doivent être pris en compte. » Son parcours de chercheuse ne cesse d’évoluer, tout comme sa curiosité. Elle se dit décidée à offrir un milieu de soins qui reflète les besoins et les priorités des personnes âgées et les aînés, qui occupent une place primordiale au sein des communautés locales.

Pour ce qu’il est de la démence, terme générique regroupant plusieurs maladies touchant la mémoire, la pensée et la capacité à mener des activités quotidiennes, Mme Webkamigad, soulignant l’Agence de santé publique Canada, précise que la maladie d’Alzheimer est la plus fréquente, soit de 60 à 70 % des cas.

D’après L’étude phare, publiée en 2024, par la Société Alzheimer du Canada, il est estimé que, d’ici 2050, le nombre de personnes d’ascendance autochtone atteintes de la maladie d’Alzheimer augmentera de 273 %. Bien qu’il s’agisse d’une projection, cette progression est nettement supérieure à celle que le rapport estime à 187 % pour l’ensemble de la population canadienne. « Les modèles de santé que nous élaborons, poursuit Mme Webkamigad, sont faits pour durer parce qu’ils reposent sur le vécu de ceux qui les ont conçus. L’objet n’est pas de mettre en œuvre des modèles occidentaux, mais d’honorer les croyances autochtones en élaborant des modèles valables. C’est ainsi que nous pourrons reconquérir la santé du cerveau pour les prochaines générations de peuples autochtones. » 

Chercheuse en début de carrière, qui a tiré avantage des programmes de mentorat et des subventions du Conseil d’éducation de Wikwemikong, sans compter ceux de l’Institut de la santé des autochtones, qui relèvent des Instituts de recherche en santé du Canada, du Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement, d’Indspire, de la Fondation des infirmières et infirmiers du Canada et de la Canadian Indigenous Nurses Association, Mme Webkamigad avoue une passion pour le mentorat et le renforcement des capacités au sein des communautés autochtones et des établissements d’enseignement. S’inspirant du projet en cours et à d’autres, elle a hâte de co-créer, en faveur des étudiants aux cycles supérieurs, des chercheurs émergents et les co-chercheurs de la communauté, des parcours de mentorat comme ceux qu’elle a suivis au fil de son cheminement universitaire.

« Le mentorat dans la recherche, dit-elle, ne se trouve pas exclusivement en milieu universitaire. Il est présent lors d’une conversation avec un aîné. Il ressort des histoires qui se racontent autour d’une table de cuisine. Les enseignements que j’ai reçus - de mes grands-parents, de ma mère, de mon défunt beau-père, de mes tantes et de mes oncles, de la communauté, des mentors au sens classique - m’ont façonnée. Je porte ces enseignements et entends les perpétuer. » 

Bien que sa thèse de doctorat, qu’elle a soutenue avec succès au début du mois, porte sur les adultes et les aînés des Premières Nations atteints de plusieurs maladies chroniques et les soutiens communautaires apportés pendant la pandémie de la COVID-19, et ses principaux champs d’intérêt en tant que chercheuse visent à promouvoir, à l’endroit des peuples autochtones, en particulier des personnes âgées dans les régions rurales et du nord, un meilleur accès aux soins de santé respectueux de leur culture.

Pour ce qui est du calendrier du projet, les étapes suivantes ont été établies : 

  • Année 1 : Établir des relations, des protocoles communautaires, des cérémonies. 
  • Année 2 : Composantes d’une évaluation holistique de la santé du cerveau.
  • Année 3 : Clarté des concepts du point de vue de la communauté.
  • Année 4 : Mise à l’essai et validité du contenu des évaluations.
  • Année 5 : Tests de fiabilité et de validité en milieu communautaire. 
  • Année 6 : Remise et mise en commun des documents dans leur ensemble. 

En mettant au cœur de sa démarche le savoir et le vécu des autochtones, ce projet ne fait pas seulement progresser la santé cérébrale et les soins aux personnes atteintes de démence, il redéfinit ce que peut et ce que doit être la recherche en matière de santé autochtone.