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« Mains soignantes » – Le parcours de Renée

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Renee de la Première Nation de KebaowekJe viens de la Première Nation de Kebaowek, à Kipawa, au Québec, petit hameau où l’unique feu de circulation est rouge et clignote constamment. Mon père est canadien-français, tandis que ma mère est algonquine. Depuis ma petite enfance, mon père me dit qu’être autochtone est une belle chose et que mes connexions sont des forces à vie qui m’aideront à choisir la voie à suivre. Par contre, il n’est pas évident de trouver la bonne voie – ni pour moi ni pour la société. De nos jours, nous reconnaissons que cette voie d’autodétermination mène à la vérité et à la réconciliation, mais à l’époque, étant métisse, je n’avais pas toujours une idée claire de mon identité ou de mon appartenance. Je suis très reconnaissante à mon père de m’avoir inspiré d’une fierté d’être femme autochtone et de la conviction que mes racines et mes ancêtres seraient toujours une source de force pour moi.

À cinq ans, j’ai commencé l’école au jardin, et avais hâte de rencontrer d’autres enfants comme moi et d’annoncer mon fait autochtone à la classe. Puisque la plupart d’entre eux venaient de la réserve, ils n’ont pas tardé pour mettre les choses au clair : je n’étais pas indienne, car je ne venais pas de la réserve. Il s’agissait de ma première exposition aux préjugés imposés sur nous par le colonialisme. Les enfants autochtones croyaient qu’il fallait habiter dans la réserve pour être autochtone. Nous ne vivions qu’à quelques minutes d’eux, mais j’ai dû persévérer pour dépasser cette distinction.

Être autochtone, c’est être lié à une place et une culture – c’est sentir le battement de la terre. Quand cela est enlevé, il est facile de perdre sa perspective ou d’adopter de fausses présomptions. Je me sens dynamisée et éclairée en comprenant que la vie dans la réserve ne constitue pas l’histoire de mon peuple. Je m’en suis rendu compte à un âge précoce, ce qui m’a aidé à répondre au besoin de me promener et d’explorer le monde autour de moi, le monde parcouru par nos ancêtres, où les frontières de réserves ne nous définissaient pas.

Après avoir terminé l’école secondaire au Québec, j’ai commencé un trajet avec ma cousine, qui nous a amenées d’abord à North Bay, à environ 45 minutes de notre localité (pour la 12e année). Je me suis retrouvée seule et autonome pour la première fois. À l’époque, j’ai lu Three Day Road, de Joseph Boyden, qui donne un aperçu de la vie de Pegahmagabow, tireur d’élite anishinaabe et héros de guerre autochtone le plus décoré au Canada. J’ai reconnu en faisant cette lecture que nos héros et modèles autochtones ne sont pas suffisamment documentés et qu’une grande partie de notre histoire a été perdue avec notre langue. Cette prise de conscience m’a poussée à choisir l’Université Laurentienne et Sudbury pour obtenir une formation postsecondaire et apprendre ma langue.

Je suis tombée amoureuse en posant le pied sur le campus, comme s’il s’agissait de retrouvailles qui m’ont ouvert les yeux et permis de voir qui je suis et qui je suis censée devenir. Quelle découverte inattendue! Le Centre autochtone de partage et d’apprentissage (CAPA) était tellement accueillant; j’ai immédiatement su que j’étais arrivée à la bonne place au bon moment. Quatre ans sont écoulés depuis. En apprenant la langue de mon peuple, j’ai renoué avec ma raison d’être et mon âme. Même si j’ai eu des troubles de santé mentale, ma langue m’aide à guérir. Elle est comme le morceau qui manque au casse-tête pour compléter l’image.

J’ai rencontré Mary Laur au Feu sacré et nous avons tout de suite noué des liens. Nous avons parlé de mon parcours, de ma relation avec la langue et de mes aspirations. Elle m’a offert un emploi au CAPA pour appuyer l’apprentissage dans les STIM et, tous les jours, je suis reconnaissante de ce rôle et de la possibilité que j’ai à aider les étudiants à avoir accès aux ressources d’appui dont ils ont besoin. Je pourrais être caractérisée de mentor-pair ou d’aidante générale, mais, essentiellement, je me présente trois fois par semaine au CAPA. Quand je dis que je me présente, c’est que je suis présente, pour prêter l’oreille aux récits de traumatisme intergénérationnel, de solitude et de confusion, tous des enjeux communs pour les étudiants autochtones. Nous essayons de supprimer ces enjeux en créant un espace sécuritaire et accueillant.

En recevant les étudiants dans le cercle, j’aide aussi à les orienter vers des ressources, appuis et activités sur le campus et à l’extérieur. Je les invite toujours au wigwam et au Feu sacré. Je pourrais passer une semaine complète, huit heures par jour, en Cérémonie pour renouer avec ma culture et la terre. Mes pairs et moi ne faisons que commencer à redécouvrir notre culture et nos traditions et cela a un puissant effet guérissant. Mon nom autochtone est Non’dwetch’a’geh Nyntch, ce qui signifie « mains soignantes ». En effet, j’espère un jour pratiquer la médecine autochtone traditionnelle aussi bien qu’occidentale.

Mon arrière-grand-mère a perdu son statut au gouvernement, mais il n’a pas pu lui enlever ses traditions. J’ai travaillé fort pour faire rétablir le mien mon statut en 2018 afin de rendre hommage à elle. Quelques semaines passées, j’ai participé à un atelier et confectionné mon propre tambour. En le battant, une joie que je ne peux pas décrire s’est emparée de mon corps… c’est comme partager les meilleurs moments de la vie, les expressions les plus sacrées et ressentir le rythme qui transcende le temps. C’est véritablement difficile à expliquer en vocabulaire occidental, mais il s’agit là de Cérémonie. 

 

Chanson préférée : Anishinaabe Water Song

Passe-temps préféré : Faire des promenades dans le Parc Bell. J’emprunte aussi un circuit que j’appelle le Cercle de la Laurentienne me permettant de visiter la place et d’explorer le campus. Nous devons protéger ces endroits. 

Programme préféré : Les langues, toujours, car elles sont puissantes.

Aspirations : Je veux apprendre ma langue et devenir médecin, même s’il est éprouvant de vérifier chaque jour la boîte aux lettres pour voir si j’ai été acceptée à l’école de médecine. Là, j’apprendrai à intégrer mes apprentissages à ma culture et je retournerai ensuite à ma communauté pour favoriser la guérison et les liens en pratiquant la médecine autochtone traditionnelle aussi bien que la médecine occidentale. Ainsi, je préserverai et rehausserai à ma façon ma culture.